L’entrepreneuriat inclusif, qu’est ce que c’est ?

L’entrepreneuriat inclusif désigne l’ensemble des activités d’une entreprise qui cherche à intégrer les populations vulnérables et à revenus faibles ou base de la pyramide (BOP) à la chaîne de production en tant qu’ouvriers, fournisseurs, distributeurs ou encore clients, et ce avec des produits adaptés. Le concept de “Base de la Pyramide” (BOP) fait référence à la théorie de Stuart Hart présentée dans l’ouvrage The fortune at the bottom of the pyramid où, à partir de la pyramide des besoins de Maslow, il démontre le potentiel économique des populations les plus pauvres et marginalisées comme les handicapés, les migrants, les minorités ethniques ou les familles monoparentales. L’entrepreneuriat inclusif contribue à un développement social, économique et écologique en associant les dynamiques entrepreneuriales à la lutte contre les inégalités. En 2021, lors du sommet du G7, les 4 caractéristiques principales de l’entrepreneuriat inclusif ont été définies. D’abord, il faut un engagement intentionnel de la base de la pyramide (BOP). Il y a 4,5 milliards de personnes qui vivent avec moins de 8 USD par jour, le commerce inclusif doit intégrer délibérément et durablement, après les avoir ciblés, ces populations aux revenus faibles dans son activité. Leur entrée dans la chaîne de production leur donne accès à des revenus sécurisés, des formations et des biens et services pertinents. Ensuite, il faut une recherche de viabilité financière c’est-à-dire la capacité de l’entreprise inclusive à faire du profit et rester compétitive sur le long terme. Cet objectif encourage les entreprises à considérer ses parties prenantes comme des partenaires commerciaux et des clients durables ainsi qu’à s’adapter à leurs impératifs. En outre, il faut un développement de l’activité, ce qui se traduit par un changement d’échelle. En effet, le BOP représenterait un marché potentiel de près de 5 000 milliards d’USD par an. Il s’agit d’un marché très peu valorisé avec de nombreuses opportunités que les entreprises inclusives veulent capter grâce au numérique. Enfin, il faut mesurer et gérer l’impact sur le BOP afin de promouvoir ces dynamiques dans le marché et parmi les acteurs. Grâce à des outils d’évaluation, les entreprises inclusives peuvent maximiser des changements positifs et corriger des effets négatifs, elles peuvent adapter leur modèle et processus.

L’entrepreneuriat inclusif, oscillant entre la philanthropie et le capitalisme, est proche du modèle de l’entrepreneuriat social, bien que tous deux différents dans leur essence. Le premier veut inclure le BOP aux chaînes de production et aux marchés de consommation, il veut en faire des consommateurs et des travailleurs au même titre que les autres populations déjà intégrées. Pour cela, le commerce inclusif mise sur un équilibre entre les objectifs sociaux et la rentabilité économique. Alors que l’entrepreneuriat social vise principalement le développement des biens et services à destination directe des populations à revenus faibles. Ainsi, même si l’entrepreneuriat inclusif cherche à promouvoir son modèle grâce à une approche philanthropique, cela reste du business. La rentabilité économique et le profit des entreprises demeurent  les objectifs premiers. Ainsi, s’associer avec des petits fournisseurs permet aux grosses sociétés d’être plus souple et d’adapter leurs produits tout en réduisant le coût de production ou bien, employer des personnes qui font partie du marché visé permet de stabiliser celui-ci et d’être plus à l’écoute des tendances et besoins. L’entrepreneuriat inclusif a néanmoins un effet structurant sur l’entreprise elle-même dans la mesure où les activités sont transformées pour inclure les populations vulnérables. Les écoles de commerces commencent d’ailleurs à proposer des cursus tournés vers ces nouveaux modèles. Par exemple, HEC a ouvert une chaire Social Business/Entreprises et Pauvreté en partenariat avec Danone, Renault et Schneider. Cette dernière étant une entreprise pionnière de l’entrepreneuriat inclusif avec son programme BIPBOP (Business Inclusive People/Bottom of the Pyramid) présent dans de nombreux pays.

Ainsi, l’entrepreneuriat inclusif permet aux populations économiquement vulnérables de passer d’une position passive à un rôle actif en les libérant de leur position statique d’assistanat pour les responsabiliser. Les acteurs économiques acquièrent par ce biais une liberté d’action qui leur permet d’entreprendre. L’entrepreneuriat inclusif crée un cercle vertueux de développement mis en mouvement par les personnes bénéficiaires elles-mêmes. Le BOP devient alors un consommateur, un entrepreneur et un emprunteur avec de l’estime de soi et le contrôle sur sa destinée. 

L’entrepreneuriat inclusif pour lutter contre l’exclusion économique

Le modèle de l’entreprise inclusive est né du besoin d’endiguer l’exclusion économique de parts importantes de la population partout dans le monde en raison de discriminations sociales ou économiques. Les personnes économiquement défavorisées luttent pour trouver une source de revenus stable et suffisante. Or elles font face à des difficultés pour accéder aux biens et services essentiels, à la formation, aux soins de santé, à un logement décent ou à des moyens de transport fiables. Elles n’ont de plus pas accès aux crédits et aux prêts, ce qui constitue un frein à l’amélioration de leur situation financière. Les réponses qui ont été proposées jusqu’ici comme les programmes de redistribution et le système d’aide sociale des États, organismes internationaux et ONG n’ont pas réussi à résoudre entièrement et durablement le problème. L’entrepreneuriat inclusif a donc été construit comme un levier pour lutter contre une situation qui apparaît être le résultat d’un processus plutôt qu’une action volontaire. Les obstacles empêchant certaines personnes de prendre part aux activités économiques peuvent être structurels par exemple le manque d’emplois appropriés pour les travailleurs peu qualifiés ou un coût de la vie trop élevé, informationnels c’est-à-dire le manque d’information sur les emplois disponibles ou la commercialisation de produits plus abordables ou encore socio-psychologiques  par exemple la discrimination à l’embauche.

Installation d'une pompe à eau au Cameroun

La pauvreté est souvent accompagnée d’un paradoxe qu’on pourrait résumer par l’adage “on ne prête qu’aux riches” : tout vous coûte plus cher et personne ne veut vous prêter d’argent. Ce surcoût facturé aux personnes les plus pauvres est appelé la “pénalité de la pauvreté”, théorisée par C.K. Prahalad. C’est selon ce principe qu’un litre d’eau dans les bidonvilles de Nairobi coûte jusqu’à 6 fois plus cher qu’un litre d’eau qui coule du robinet des appartements luxueux de la ville. Les populations les plus économiquement vulnérables n’ont que très rarement accès aux organismes de prêts car elles ne peuvent justifier de revenus ou de stabilité économique. Le microcrédit, promu par le prix Nobel Muhammad Yunus, a permis de réduire les inégalités et de sortir des milliers de personnes de la pauvreté. En éliminant les obstacles, il est possible de corriger les dysfonctionnements du marché et de contribuer à la bonne santé de l’économie mondiale.

Le premier obstacle récurrent qui touche le BOP est le manque d’infrastructures notamment d’assainissement, d’énergies ou de réseaux de communication. Ce manque crée des obstacles physiques à l’insertion des populations défavorisées dans les marchés et les chaînes de production. Cet isolement physique entraîne une augmentation considérable du prix des produits, c’est ce qu’on appelle le coût du “dernier kilomètre”. Mais on observe aussi une perte d’accessibilité et de disponibilité des produits ou matières premières que ces populations ont à vendre. Les entreprises doivent faire face à des coûts additionnels  pour les acheter et les transporter, ce qui diminue leur compétitivité. Éliminer ces obstacles permettrait d’accéder à de nouvelles opportunités de développement économique et social.


La création de nouvelles opportunités à structurer

Enfin pour s’assurer de la pérennité du modèle, il est nécessaire de s’appuyer sur ses acteurs, en particulier les entreprises, afin de soutenir les nouvelles dynamiques et opportunités. Avec l’expansion du marché, les besoins en formation augmentent. L’entreprise est un biais de formation et d’éducation important ayant tout intérêt à former ses partenaires afin qu’ils puissent répondre aux exigences de qualité et de services qu’elles demandent. Les entreprises qui entrent dans un marché BOP concentrent leurs efforts sur la formation de jeunes souvent premières victimes du chômage.

Les gouvernements, quant à eux, peuvent proposer de nouvelles réglementations et réviser celles en vigueur qui limitent l’intégration du BOP aux activités économiques comme les services financiers et le pénalise au niveau fiscal et juridique, améliorer l’accès aux différentes solutions de financement, informer le BOP marqué par un manque systématique d’information pour faire les meilleurs choix. Les gouvernements à travers leurs instituts statistiques nationaux peuvent compiler, regrouper et partager des données sur les marchés, notamment des données sur les ménages, la consommation ou les programmes sociaux afin de permettre aux entreprises de mieux comprendre le marché et ses besoins. Les différents gouvernements et agences nationales peuvent créer ou soutenir la création de nouveaux produits et moyens d’investissement au niveau local. En plus des institutions de financement du développement traditionnel, de nouveaux acteurs, philanthropiques ou à but lucratif, innovent pour proposer des nouveaux services de financement sur des temps longs et adaptés aux populations. Ces structures cherchent toutes à avoir un impact social et environnemental positif et surtout mesurable. 

Les institutions internationales peuvent aussi soutenir les initiatives d’entrepreneuriat inclusif. En 2019, lors du sommet du G7, le “Business for Inclusive Growth” (B4IG) a été lancé, marquant  une étape importante dans la promotion des pratiques commerciales inclusives. 30 entreprises mondialisées ont alors débattu et échangé sur ces nouvelles pratiques et ont signé un accord d’intégration des mesures inclusives à leur structure. Cependant, ce sont les banques multilatérales qui furent les premières à soutenir ce modèle. Elles ont déjà investi plus de 15 milliards de USD dans des dispositifs d’entrepreneuriat inclusif.
 Les institutions de financement local comme les coopératives ou banques de microfinance sont au premier plan puisqu’elles font le lien entre les investisseurs et les partenaires. Ces services financiers équitables et transparents sont indispensables aux développements des entreprises locales.


Ainsi, il apparaît que l’entrepreneuriat inclusif est marqué par un fort potentiel de création et dynamisation des marchés où le BOP est placé au centre du modèle au même titre que les objectifs financiers. Ce modèle correspond aux initiatives que Bill Gates appelle le “capitalisme créatif” c’est-à-dire trouver des solutions innovantes, éthiques et entrepreneuriales afin d’étendre le marché mondial à des domaines et des populations qui n’étaient jusque-là pas encore économiquement intégrées. Pour atteindre ces nouveaux marchés, il faut tout réinventer et repenser. L’entrepreneuriat inclusif permet donc à de grands groupes d’étendre leur marché grâce à leur capacité à innover mais aussi à de plus petites entreprises de se démarquer et d’œuvrer pour le bien commun. TPSF participe activement aux initiatives d’entreprenariat inclusive en tant qu’intermédiaire de formation entre les jeunes déscolarisés en Afrique et les entreprises de TP.

Paola Hernandez

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