La Grande Muraille Verte, réelle opportunité ou simple mirage pour le développement des territoires ruraux du Sahel ?

Épisodes de sécheresse de plus en plus intenses, irrégularité des précipitations, surexploitation agricole, érosion des sols, détérioration de la végétation et avancée du désert : depuis la fin des années 1970, le Sahel est l’une des régions où les terres sont les plus détériorées et dégradées au monde. Particulièrement exposée aux aléas climatiques, cette région est aussi très touchée par la pauvreté ce qui la rend également plus vulnérable au changement climatique : selon l’indice ND-GAIN (Notre Dame Global Adaptation Index) qui mesure la vulnérabilité d’un pays en fonction de sa capacité à faire face au changement climatique, tous les pays du Sahel se classaient en 2020 parmi les 20 % les plus vulnérables et les moins préparés au changement climatique. À tel point que les scientifiques estiment aujourd’hui que les augmentations de température devraient y être 1,5 fois plus élevées que dans le reste du monde.

La Grande Muraille Verte vue du ciel. Photographie de Alex Baramgoto Jr pour Tchad Infos. 

Un projet inédit et ambitieux

Afin de lutter contre la désertification et l’avancée du Sahara vers les régions semi-arides du Sahel, l’idée de reverdir ces zones et de construire une « grande muraille verte » émerge dans les années 1980, avec Thomas Sankara, ancien leader politique burkinabé. Mais ce n’est qu’en 2007 que ce programme transnational voit réellement le jour, sous l’impulsion de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade, et initié par l’Union Africaine. 

Concrètement, la Grande Muraille Verte (GMV), c’est un programme de restauration écologique de 100 millions d’hectares de terres dégradées, d’ici 2030. Au total, ce sont 250 millions de tonnes de CO2 qui devraient y être captées, et 10 millions d’emplois verts qui devraient y être créés. Ce projet, qui cible la zone comprise entre les isohyètes 100 et 400 mm, s’étend sur plus de 7500 km de long contre 15 de large. Il n’implique pas moins de 11 pays, du Sénégal à Djibouti, en passant par la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Nigéria, le Tchad, le Soudan, l’Ethiopie et l’Erythrée. 

Afin d’assurer la coordination de la mise en œuvre du projet, d’harmoniser les actions et d’appuyer la mobilisation des ressources, l’UA et le CEN-SAD (Communauté des Etats Sahélo-Sahariens) ont créé en 2010 une instance interétatique : l’Agence Panafricaine de la Grande Muraille Verte (APGMV), disposant d’une capacité juridique internationale. Pensé par l’Afrique et pour l’Afrique, ce projet colossal et ambitieux est également extrêmement novateur. Pour beaucoup, cette muraille est synonyme d’espoir et constitue une nouvelle façon de penser l’écologie en Afrique. Si la GMV est un projet global avec une stratégie unique, il existe néanmoins une grande diversité de mise en œuvre possibles, en fonction du contexte local et des spécificités de chaque territoire (contexte pédologique, climatique, etc.) : replantation pure, agroforesterie, agropastoralisme, maraîchage, construction d’écovillages, etc.

Un projet devenu multisectoriel et transversal

Pendant plusieurs années, la Grande Muraille Verte a été vue comme un simple projet environnemental de replantation d’arbres. Mais finalement, c’est bien plus que cela : la GMV créé d’importantes externalités positives, et devient ainsi un véritable programme de développement rural. En plus de lutter contre la désertification, il s’agit aussi de contribuer à l’agenda de l’Accord de Paris, et plus largement aux objectifs de développement durable promus par l’ONU.

En effet, outre les enjeux liés à la gestion durable des écosystèmes, à la préservation de la biodiversité, et donc à la santé globale, la GMV se doit d’être un projet qui implique les populations locales et crée de la ressource et de la richesse afin d’assurer sa durabilité.

À travers l’agroforesterie, l’agropastoralisme ou le maraîchage, l’idée est que la GMV contribue à la sécurité alimentaire des populations du Sahel. Le développement de ces activités génératrices de revenu sur ces territoires ruraux peu habités permet aussi de lutter contre la pauvreté et contre l’exode rural, particulièrement important dans la région du Sahel. La GMV est également une réelle opportunité pour une meilleure reconnaissance de la place des femmes. 

Par ailleurs, la GMV suppose au préalable l’accès à des ressources en eau suffisantes, et donc l’existence d’infrastructures de base pour assurer l’adduction d’eau. Cette adduction nécessite elle-même de l’énergie. Ainsi, la mise en œuvre de la GMV est nécessairement couplée à des programmes d’adduction d’eau potable, d’accès à l’énergie et d’électrification, ce qui constitue en soi une opportunité formidable de développement pour ces territoires ruraux isolés.

Mais face à l’insécurité et l’expansion du djihadisme, qui se nourrit de la pauvreté et des conflits liés à l’accès aux ressources naturelles et au foncier, la GMV devient également un enjeu géopolitique. Car si des populations sont insérées socialement et professionnellement, alors celles-ci seront moins tentées de rejoindre des groupements armés. Largement évoquée lors du dernier sommet du G5 Sahel, qui rassemble les pays en guerre contre le terrorisme, la GMV est finalement une arme économique et environnementale contre le djihadisme, ce qui constitue un véritable changement de paradigme par rapport aux réponses uniquement militaires déployées jusqu’ici.

Où en est-on aujourd’hui ? 

En septembre 2020, un rapport commandé par la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD) stipulait que seulement 4 millions d’hectares avaient été restaurés. Mais l’AFD comptabilisait fin 2021, soit 12 ans après le lancement du projet, 20 millions d’hectares restaurés sur les 100 millions prévus, dont la moitié par l’Ethiopie. Les résultats sont donc très variables selon les pays : si 57% des terres ont été restaurées en Ethiopie, 20% l’ont été au Niger, contre seulement 5% au Burkina Faso ou au Mali. D’un point de vue socio-économique, 350 000 emplois ont été créés, et 90 millions de dollars ont été générés entre 2007 et 2018 grâce aux activités de la GMV. 

Plusieurs explications sont avancées pour expliquer ce bilan mitigé : tout d’abord, comme dit précédemment, la GMV a longtemps été vue comme un projet de reforestation, et son coût a donc largement été sous-estimé. Par ailleurs, au lancement du projet, les Etats ont peiné à trouver les ressources financières suffisantes car les bailleurs de fonds étaient, traditionnellement, peu habitués à subventionner des projets en lien avec l’agroécologie. C’est aujourd’hui en train d’évoluer. Enfin, bien que les programmes nationaux aient été élaborés, un manque de moyens techniques et financiers se fait ressentir sur le terrain, notamment pour la sensibilisation des populations locales sur les principes de l’agroécologie et les techniques agronomiques de conservation des sols. Enfin, les conflits et l’instabilité persistante dans certains pays ont retardé l’avancée de la GMV.

Quelles perspectives futures ? 

En janvier 2021, lors du One Planet Summit, Emmanuel Macron a annoncé le lancement de « l’accélérateur de la GMV », programme qui vise notamment à faciliter la collaboration entre les donateurs et les parties prenantes du projet, tandis que la Banque Mondiale et plusieurs pays dont la France se sont engagés à fournir 14,3 milliards de dollars pour la GMV. Lors de la Cop 26 de Glasgow en novembre 2021, c’est Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, qui s’est engagé à verser 1 milliard de dollars pour le projet. 

Après l’enjeu financier, il s’agit également de mettre en place de véritables projets de territoire, et donc d’intégrer davantage les acteurs locaux au sein des projets. Cette coopération entre les collectivités territoriales, les acteurs privés et les associations locales. Ceci est une condition indispensable pour la viabilité de la GMV sur le long terme. La mise en place de processus consultatifs, une gouvernance locale incluant une approche participative et inclusive. Cela sera possible grâce aux renforcements des capacités sur le terrain, autre pilier essentiel de l’accélérateur. 

Enfin, la mise en place systématique de systèmes de suivi-évaluation des projets est nécessaire pour capitaliser et continuer à améliorer la mise en œuvre de la GMV. La recherche et l’innovation auront un rôle clé à jouer sur ce point.

Valentine Le Cras

Laisser un commentaire